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    Causerie

    Les concours du Conservatoire viennent de sévir, à Paris et à Lyon, et l'examen des résultats apportés par cette cérémonie traditionnelle permet d'affirmer, comme à l'ordinaire, que nos « étoiles en herbe » ont besoin de grandir longtemps et beaucoup, avant de se ranger parmi les constellations de l'art dramatique ou lyrique.

    On n'a découvert, parmi ces aspirants, ni un Monnet-Sully de demain ni une future Miolan-Garvalho. Ce sont des élèves comme tous les élèves, les uns assez forts en thème, et les autres de bons petits cancres. Car vous n'ignorez pas que, parmi ces apprentis de l'art, il en est qui sont faits pour devenir artistes comme moi pour être pape. Qu'importe ! Ils étudient, puisqu'ils sont étudiants, et qu'ils sont entrés dans le chant ou dans la diction comme leurs frères dans la chemiserie ou la limonade. Et c'est ainsi que nous voyons, dans ces concours, bafouiller ou chanter faux tant de ténors et de grands premiers rôles, capables de rendre d'excellents services à l'agriculture qui manque de bras, et tant de fortes chanteuses et d'ingénues que réclament impérieusement le pot-au-feu domestique et l'art de coudre ponctuellement des boutons aux chemises d'un mari.

    Donc, reviser le mode de recrutement des élèves, devrait être la première réforme a apporter dans l'antique règlement du Conservatoire. Il y a belle lurette qu'une illustre comédienne, la Clairon, écrivait dans ses Mémoires qu'il n'est point d'école capable de fabriquer une àme d'artiste à qui n'en n'est pas doué par la nature : Je ne connais ni règles ni conventions qui puissent donner tous les genres d'esprit, tous les genres de sensibilité qu'il faut indispensablement pour produire un acteur; je ne connais point de règles pour apprendre à penser et à sentir ; la nature seule peut donner ces moyens que l'étude, des avis et le temps développent. Les seules écoles possibles et raisonnables sont les troupes de province. Et pour apporter un exemple à l'appui de sa thèse, elle rappelait tout le zèle qu'elle avait dépensé pour former Mlles Dubois et Raucourt, ses jeunes émules de la Comédie-Française : Hélas, disait-elle, malgré mes soins, je n'ai jamais pu en faire que mes singes !

    Puisqu'on vient d'élever à Condé-sur-Escaut, sa ville natale, un buste à celle que la malignité de ses contemporains avait surnommée Frétillon, il serait d'utile actualité de ne pas oublier ses conseils qui sont assurément d'une femme avisée... Après n'avoir admis au lycée dramatique et lyrique que des sujets ayant, comme on dit, « une nature », il serait non moins nécessaire de réformer l'enseignement, qui ressemble à s'y méprendre, dans certaines classes, à celui des boîtes à bachot. Le Conservatoire National forme des bacheliers " es chant " ou " es déclamation", comme les marchands de soupe l'ont des bacheliers es lettres ou es sciences par le système bien connu du gavage, renouvelé de l'éducation des perroquets. Mme Annïs Fargueil, qui ne fut pas professeur au Conservatoire, et Mme Arnould- Plessy, qui ne le fut pas davantage, ont écrit ou dit là-dessus des choses singulièrement opportunes, dont les méthodes en honneur dans nos établissements officiels gagneraient à s'inspirer. Mais la routine est si enracinée et si forte ! Quand on songe que toute s les réclamations et toutes les campagnes de la presse parisienne n'ont pas même abouti à obtenir que les concours aient lieu sur la scène de l'Odéon ou de l'Opéra-Comique et on costumes de théâtre ! Cette année encore, comme les précédentes, il a fallu s'empiler dans cette horrible et dangereuse salle de la rue Bergère où l'on cuit dans son jus en attendant qu'on y rôtisse un jour d'incendie. Et les malheureux élèves, endimanchés de leur mieux, en habit pour chanter Raoul des Huguenots, ou en robe de soirée pour jouer Phèdre, sont si ridicules en cet accoutrement et si gênés sur ces planches exiguës !

    A Lyon, au moins, nous avons changé tout cela. C'est sur un vrai théâtre et avec des costumes de théâtre que les concurrents s'efforcent de montrer qu'ils peuvent affronter la carrière du théâtre . Et n'est-ce pas la raison même ? Donc, rien n'est modifié dans l'antique maison, fondée par décret de la Convention en 1793, et dirigée par Ambroise Sarette, il y a un siècle. La méthode Sarette est toujours intacte, respectée et vivante, comme s'il était encore là. Peut-étre bien qu'il n'est pas mort...

    Les mères aussi sont immortelles, les mères de débutantes, que nous voyons tous les ans former la partie la plus copieuse et j la plus bruyante du public des concours, augustes représentantes des dynasties Cardinal et Manchaballe. On se les montre du doigt : celle-ci qu'on appelle la « mère Caspienne », parce que, veuve d'un officier supérieur, elle ne communique avec aucune autre mère, n'en trouvant pas qui soit digne d'elle ; celle-là, surnommée la « barrière de l'Etoile », parce qu'elle défend avec la plus farouche humeur les abords de sa fille, dont l'avenir s'annonce brillant au théâtre comme à la ville ; et, enfin, cette dernière à laquelle on prête un mot consacré, recueilli par un de nos auteurs dramatiques : Ma fille aînée ? Ah ! ne m'en parlez pas... Elle a trahi toutes les espérances de sa mère en tournant mal ; elle s'est mariée !

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